Et si les ultra-riches payaient enfin leur juste part ? Alors que le gouvernement prépare un budget 2026 sous tension, le débat sur la justice fiscale revient en force. Au cœur des discussions : les super-héritages et les patrimoines colossaux qui échappent, en grande partie, à l’impôt. Une réforme ciblée pourrait rapporter jusqu’à 30 milliards d’euros par an, soit l’équivalent des coupes budgétaires annoncées. De quoi changer profondément la donne.
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Un virage symbolique vers plus d’équité fiscale
Le Premier ministre Michel Barnier a lancé le signal début octobre 2024 : une « contribution exceptionnelle » des plus fortunés est envisagée. Le dispositif concernera environ 24 000 foyers aux très hauts revenus, générant 2 milliards d’euros de recettes. Une première étape, certes symbolique, mais loin d’être suffisante selon plusieurs économistes.
Pour Quentin Parrinello de l’Observatoire européen de la fiscalité, cette mesure ne touche pas vraiment sa cible. Pourquoi ? Parce que les plus riches vivent moins de leur salaire que de leurs rentes patrimoniales. En clair, taxer leur revenu ne suffit pas : il faut s’attaquer directement à leur fortune et aux héritages qu’ils transmettent.
La suppression de l’ISF, une erreur à 4,5 milliards par an
Depuis la suppression de l’impôt sur la fortune (ISF) en 2018, remplacé par un impôt uniquement sur l’immobilier, l’État a perdu 4,5 milliards d’euros par an, selon le Comité d’évaluation des réformes fiscales. Une réforme fiscale ambitieuse visant les grands patrimoines et les super-héritages pourrait combler largement cette perte et même aller bien au-delà.
La taxe Zucman : une proposition audacieuse
L’économiste Gabriel Zucman, figure internationale de la lutte contre l’évasion fiscale, propose un impôt progressif sur la fortune assorti d’un mécanisme anti-exil fiscal. Son barème :
- 1 % au-delà de 10 millions d’euros
- 2 % au-delà de 20 millions
- 3 % à partir de 100 millions
- Jusqu’à 8 % au-delà de 10 milliards
Selon ses calculs, cette seule mesure pourrait rapporter jusqu’à 40 milliards d’euros par an. De quoi rééquilibrer les comptes publics sans toucher aux dépenses sociales ni à l’éducation.

Des super-héritiers privilégiés… et peu imposés
C’est un chiffre qui interpelle : les 0,1 % les plus riches héritent en moyenne de 13 millions d’euros au cours de leur vie. Et pourtant, ils ne paient que 10 % d’impôt en moyenne sur ces montants, d’après les données d’Oxfam. Comment est-ce possible ? Grâce à une multitude de niches fiscales, exonérations et optimisations parfaitement légales, mais profondément inégalitaires.
Par exemple :
- Un parent riche peut transmettre plus de 500 000 € tous les 15 ans sans impôt.
- Le Pacte Dutreil permet de transmettre 75 % d’une entreprise en franchise d’impôt.
- Les assurances-vie et les donations permettent de fragmenter les héritages pour limiter la fiscalité.
Un système à réformer en profondeur
Pour Oxfam et d’autres experts, la solution est claire : il faut taxer l’ensemble des héritages perçus au cours d’une vie, quel que soit le mode de transmission. Un tel système, déjà en vigueur en Irlande, permettrait d’éviter les abus liés au fractionnement et à la répétition des donations.
Des niches fiscales qui coûtent cher à l’État
En 2023, la France comptait 467 niches fiscales, pour un coût total de 81 milliards d’euros par an. Certaines sont utiles, d’autres beaucoup moins. La Cour des comptes dénonce notamment le crédit d’impôt pour l’emploi d’un salarié à domicile, qui coûte près de 6 milliards d’euros par an, en bénéficiant surtout aux 10 % les plus riches.
Une réforme ciblée de ces dispositifs permettrait de récupérer :
- 2,5 milliards si le crédit d’impôt est réservé aux 90 % les moins riches
- 3,2 milliards en supprimant le prélèvement forfaitaire unique sur les revenus du capital
- Des milliards supplémentaires en plafonnant ou supprimant les niches les plus coûteuses
Des idées pour une fiscalité plus juste et plus verte
Au-delà de la seule fiscalité des riches, Oxfam propose également d’intégrer une dimension écologique à la taxation des héritages :
- Un diagnostic énergétique obligatoire pour les biens immobiliers transmis
- Une fiscalité verte sur les investissements financiers selon leur intensité carbone
- Une incitation à réorienter les fortunes vers des investissements durables
L’idée ? Faire de la fiscalité un levier de justice sociale mais aussi climatique.

L’opinion publique prête à changer les règles ?
Contrairement aux idées reçues, les Français ne sont pas hostiles à toute réforme fiscale. 60 % d’entre eux se déclarent favorables à une taxation plus forte des très gros héritages, selon Oxfam. Le seul obstacle ? Un système fiscal opaque, incompris, et qui favorise ceux qui savent s’y retrouver.
Aujourd’hui, 50 % des droits de succession sont payés sur des petits héritages en ligne indirecte, alors que les super-héritages échappent à toute vraie contribution. Cette injustice alimente un sentiment de colère et de défiance à l’égard du système fiscal.
Une réforme pour un nouveau pacte républicain
Dans un pays où la pauvreté progresse et où les inégalités explosent, repenser l’impôt sur le patrimoine et les héritages n’est plus un tabou, mais une nécessité. Comme le souligne Layla Abdelké Yakoub (Oxfam), ces réformes permettraient non seulement de réduire les injustices, mais aussi de financer les services publics, l’éducation, et la transition écologique.
En choisissant de mieux taxer les plus riches plutôt que de couper dans les dépenses publiques, la France pourrait tracer la voie vers une société plus solidaire, durable et cohérente avec ses valeurs républicaines.






