Peut-on vraiment tout décider depuis Bruxelles ? C’est à cette question que le principe de subsidiarité, souvent méconnu du grand public, tente de répondre. Il incarne une idée simple mais puissante : dans une Europe à plusieurs niveaux, mieux vaut laisser les décisions à ceux qui sont le plus proches du terrain, sauf si une action commune s’impose.
Sommaire
Un garde-fou contre la centralisation européenne
Dans l’imaginaire collectif, l’Union européenne est parfois perçue comme une machine tentaculaire qui s’occupe de tout. Pourtant, depuis le traité de Maastricht en 1992, un principe fondamental cherche justement à limiter cette tendance : le principe de subsidiarité.
Le principe de subsidiarité garantit que l’Union européenne n’intervient que si une action est plus efficace au niveau européen qu’à celui des États membres.
Inscrit à l’article 5, paragraphe 3 du Traité sur l’Union européenne (TUE)*, il affirme que l’UE ne doit intervenir que si les États membres, pris individuellement, ne peuvent pas atteindre les objectifs visés de manière satisfaisante. Et encore, cela ne concerne que certains domaines : uniquement ceux que l’Union partage avec les États, comme l’environnement, l’énergie ou les transports.
Autrement dit, Bruxelles ne peut pas s’inviter partout. Elle ne touche ni à la politique monétaire des pays hors zone euro, ni au droit de la nationalité, ni à d’autres domaines réservés aux capitales.
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L’Europe, mais seulement si c’est utile
Ce principe repose sur une logique de bon sens. Si une mesure peut être décidée efficacement à Paris, Rome ou Berlin, inutile que Bruxelles s’en mêle. En revanche, si l’enjeu dépasse les frontières nationales – pensons à la pollution de l’air, aux flux migratoires ou à la cybersécurité –, alors une réponse européenne peut s’avérer non seulement justifiée, mais nécessaire.
Ce critère d’efficacité est au cœur de la réflexion. Il ne s’agit pas de savoir si l’Union « peut » agir, mais si elle doit le faire. Et lorsqu’elle le fait, elle doit prouver qu’elle apporte une véritable valeur ajoutée. On parle ici d’un principe de « proximité », qui vise à garder la prise de décision au plus près des citoyens, autant que possible.
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Le rôle clé des parlements nationaux
Le traité de Lisbonne, en 2007, a renforcé le dispositif. Désormais, les parlements nationaux peuvent se saisir d’un projet de loi européenne qu’ils jugent intrusif, et faire entendre leur voix à Bruxelles. Ils disposent de huit semaines pour émettre un avis motivé s’ils estiment que la subsidiarité n’est pas respectée.
Si un tiers des chambres parlementaires s’accorde pour tirer la sonnette d’alarme, la Commission est tenue de revoir sa copie. C’est ce que l’on appelle, dans le jargon européen, un « carton jaune ». Le projet peut alors être modifié, justifié… ou retiré.
Un tel scénario s’est déjà produit. En 2012, une proposition sur les actions collectives – le fameux « Monti II » – a été retoquée après l’intervention de douze parlements nationaux. D’autres alertes ont suivi, comme en 2013 à propos du Parquet européen, ou en 2016 sur le détachement des travailleurs. Des exemples concrets qui montrent que les États gardent un droit de regard sur les initiatives bruxelloises.
Un principe contrôlé… mais difficile à manier
Le contrôle ne s’arrête pas aux parlements. La Cour de justice de l’Union européenne peut elle aussi être saisie lorsqu’un État ou le Comité européen des régions estime qu’un texte viole le principe de subsidiarité. Mais cette voie reste rare : elle intervient après coup, et impose un recours en annulation, lourd à enclencher.
D’autant que la marge d’appréciation laissée aux institutions européennes est large. Tant que la Commission justifie ses propositions – ce qu’elle fait de plus en plus – il devient difficile de contester sa légitimité. Et même si les considérants d’un texte semblent légers, la Cour a tendance à juger qu’ils suffisent, tant que l’intention de respecter le principe est visible.
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Une question de méthode… et de démocratie
Au fond, le principe de subsidiarité est un outil de bonne gouvernance, bien plus qu’un frein à l’intégration européenne. Il ne vise pas à empêcher l’Union d’agir, mais à s’assurer qu’elle n’en fait pas trop. En cela, il rejoint un autre principe fondamental, celui de proportionnalité, qui exige que toute action entreprise par l’Union soit limitée à ce qui est strictement nécessaire.
Ces deux principes travaillent main dans la main pour éviter les abus. Ensemble, ils imposent un cadre de discipline institutionnelle qui pousse l’Union à justifier chacune de ses initiatives, et à dialoguer avec les échelons locaux et nationaux.
Une Europe à plusieurs vitesses… de décision
Dans un contexte où l’Union fait face à de nouveaux défis – climatiques, géopolitiques, numériques –, le débat sur la subsidiarité reste d’actualité. Jusqu’où l’Europe peut-elle aller ? Quand doit-elle s’abstenir ? Ces questions traversent tous les grands débats, des politiques agricoles aux règlements sur l’intelligence artificielle.
Le Parlement européen lui-même milite pour une meilleure application de la subsidiarité. Il appelle régulièrement à associer davantage les autorités locales et les citoyens aux processus décisionnels, convaincu que cela renforce la légitimité des institutions.
Car au bout du compte, il s’agit bien de cela : faire de l’Europe un espace de décisions partagées, équilibrées et compréhensibles. Et cela passe forcément par le respect de ce principe, discret mais fondamental, qu’est la subsidiarité.
Le principe de subsidiarité est un garde-fou juridique et politique, destiné à s’assurer que l’Union n’intervient que si elle peut faire mieux que les États membres. C’est un pilier du fonctionnement européen qui continue d’évoluer, avec une vigilance croissante des parlements nationaux et un débat permanent sur la bonne répartition des pouvoirs.
Et vous, pensez-vous que l’Europe respecte toujours ce principe ?
* Le traité de l’Union européenne en intégralité : https://eur-lex.europa.eu/resource.html?uri=cellar:2bf140bf-a3f8-4ab2-b506-fd71826e6da6.0002.02/DOC_1&format=PDF